Avez-vous dit Ergogénique ?
Par Jean-Yves Dionne, BSc Pharm.
Cinquième partie d'une série de six.
« Mon culturiste m'a dit… »
Pour cette chronique de la série sur les suppléments ergogéniques,
je suis allé visiter un culturiste/entraîneur personnel pour connaître
les principaux suppléments et substances qu'il utilise et recommande. Ce
monde « interlope » de substances dans la zone grise (même noire)
est particulièrement fascinant. Les allégations d'anabolisant, d'inhibiteur
de l'aromatase, de stimulant de la croissance musculaire, etc. sont légion
mais la documentation, même in vitro , est amèrement déficiente
sur les bases de données scientifiques comme Medline. Il m'a donc fallu utiliser
mes talents de fin limier J pour la trouver (ou l'invalider)…
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Pourquoi ai-je décidé de présenter ces produits à des
lecteurs qui s'intéressent à la santé et qui, de toutes façons,
n'en prendront jamais ? Simplement pour vous permettre de connaître leurs
effets et d'être mieux informés sur les effets adverses potentiellement
graves.
Inhibiteurs de la myostatine (Myostim, Myozap, etc.)
L'intérêt pour la myostatine débute lors de la constatation
que, chez des bovins, l'inactivation génétique de cette protéine
provoque une augmentation significative de la musculature. La myostatine a pour
effet de limiter le développement de la musculature. Cette manipulation génétique
a si bien fonctionné qu'on a donné le nom de « double musculature
» à ces bovins. (1) Des chercheurs ont constaté que les polysaccharides
sulfatés de l'algue Cystoseira canariensis pouvaient s'attacher
in vitro à la myostatine et ainsi l'inactiver. (2) Par contre, cet
effet n'est pas au rendez-vous lors d'une étude clinique contre placebo sur
des volontaires sains. (3)
« Précurseurs anabolisants»
Les pro-hormones disponibles dans les gyms foisonnent. Chaque compagnie (toutes
américaines) vante leur puissance anabolisante, leur incapacité à
se transformer en œstrogènes (via l'aromatisation), leur biodisponibilité,
etc. Lorsqu'on utilise la nomenclature des ingrédients utilisée sur
les étiquettes pour faire des recherches de documentation Medline, on n'obtient
que très peu de résultat.
« Une analyse poussée du contenu des gélules de 4-androstènediol
et de 5-androstènediol a permis de mettre en évidence la présence
de 19-norandrostènediol et 19-norandrostènedione (Nandrolone
ou anabolisant de synthèse) en quantités faibles mais suffisantes
pour obtenir les métabolites urinaires NA et NE à des concentrations
largement supérieures aux niveaux physiologiques. Il en découle que
ces gélules non pures feront de leurs utilisateurs des cas positifs lors
d'un contrôle antidopage. » (4) Donc, au dire de ces chercheurs
impliqués dans la lutte anti-dopage, les produits que l'on prétend
être des précurseurs de testostérone et autres stéroïdes
anabolisants « naturels » pourraient contenir des anabolisants de synthèse.
Donc, ici comme ailleurs, si ça semble trop beau pour être vrai… C'est
probablement trop beau pour être vrai… il y a anguille sous roche
L'élément le plus paradoxal de tout dans le dossier des stéroïdes
est que l'effet constaté est souvent l'inverse de celui recherché.
En effet, l'androstènedione et ses dérivés semblent causer
une augmentation de la testostérone virilisante chez la femme (5) (donc des
poils, des changements de la voix, etc.) et une augmentation des œstrogènes
chez l'homme (6) (donc, des seins, une prise de poids, des troubles érectiles,
etc.). En mars 2004, la FDA annonçait qu'elle commençait une campagne
pour empêcher la vente des suppléments stéroïdiens de type
androstènedione. (7) Cette campagne est loin de montrer les résultats
escomptés sur les tablettes des gyms que j'ai visités.
Les effets secondaires potentiellement toxiques des anabolisants dits « naturels
» ou synthétiques sont multiples. En voici les principaux :
Effets secondaires des anabolisants
Acné/séborrhée
Hirsutisme
Calvitie type masculin
Voix plus grave (hypertrophie laryngée)
Altération du cycle menstruel
Atrophie testiculaire
Réduction des HDL-C
Agressivité
Oedème
Apnée du sommeil
Troubles hépatiques incluant cancer et cirrhose
Altération de la coagulation; hypercoagulabilité
Gynécomastie
Impuissance
Hyperplasie endométriale
Intolérance au glucose/diabète
Hypertriglycéridémie
Épilepsie
Migraine
Fermeture prématurée des plaques de croissance osseuse
Puberté précoce
Personnellement, les effets qui me préoccupent le plus sont les effets pervers
chez les jeunes. Par exemple, un adolescent qui consomme des anabolisants subira
un arrêt de croissance. De plus, les effets métaboliques hépatiques
et les autres effets toxiques à long terme, aussi graves soient-ils, n'inquiètent
généralement pas les utilisateurs qui souffrent tous du « syndrome
Superman » (ils sont convaincus que ça ne leur arrivera jamais!).
Les inhibiteurs de l'aromatase
L'enzyme aromatase transforme la testostérone en œstrogènes. Cette
enzyme est naturellement présente dans les tissus du corps des hommes et
des femmes. Les inhibiteurs de l'enzyme aromatase sont utilisés pour ( théoriquement
) réduire les effets oestrogéniques (comme la gynécomastie,
c'est à dire l'apparition de sein chez un homme) et augmenter l'effet anabolisant
des substances anabolisantes. Les principaux inhibiteurs vendus sont : 4-OH Androstènedione,
17aMethyl-5a-Androstandiol et Delta-4-10,13-diméthyl-cyclopenta(a)phenantrène-3-6
17 trione alias 6-OXO. (8-10) La documentation classe effectivement ces
divers produits comme des inhibiteurs de l'aromatase. Par contre, le résultat
recherché, celui de réduire les effets oestrogéniques des anabolisants,
repose plus sur la théorie que sur la clinique. Bref, ici aussi à
éviter.
Conclusion
Des données troublantes montrent que même des suppléments qui
ne sont pas vendus comme anabolisants peuvent contenir des stéroïdes
anabolisants sans que ceux-ci soient mentionnés sur l'étiquette. (11)
Il est donc important de rester à l'affût lorsque des effets «
non prévisibles » se présentent chez le sportif utilisateur.
Qui plus est, les utilisateurs de ces substances peuvent en devenir dépendants
(addictive) parce que les stéroïdes exercent aussi une action au niveau
de la dopamine. (12)
De plus, les utilisateurs n'ont pas tendance à se confier aux professionnels
de la santé parce qu'ils considèrent que ceux-ci n'y connaissent rien.
(13) Ils se fient plutôt à leur entraîneur ou à leur confrère
culturiste qu'ils croient compétent en la matière. Il faut donc user
de toutes nos capacités d'écoute et de communication.
Mais, définitivement, l'aspect le plus alarmant de tout ce débat sur
les produits dopants est reflété par cette petite phrase entendue
dans un gym : « Si tu veux des résultats, il faut accepter les effets
secondaires ! »
Références :
1. Martyn JK, Bass JJ, Oldham JM. Skeletal muscle development in normal and double-muscled
cattle. Anat Rec . 2004 Nov 5;281A(2):1363-1371 [Epub ahead of print]
2. Ramazanov, Z, Jimenez del Rio, M, and T Ziegenfuss. Sulfated polysaccharides
of brown seaweed Cystoseira canariensis bind to serum myostatin protein. Acta Physiol
Pharmacol Bulg 27(2-3):101-106, 2003
3. Willoughby DS. Effects of an alleged myostatin-binding supplement and heavy resistance
training on serum myostatin, muscle strength and mass, and body composition. Int
J Sport Nutr Exerc Metab . 2004 Aug;14(4):461-72.
4. Pepin G, Vayssette F, Gaillard Y. À propos des métabolites de la
Nandrolone dans les contrôles urinaires antidopage. Ann Pharm Fr
. 2001 Sep;59(5):345-9.
5. Brown GA, Dewey JC, Brunkhorst JA, et al. Changes in serum testosterone and estradiol
concentrations following acute androstenedione ingestion in young women. Horm Metab
Res . 2004 Jan;36(1):62-6.
6. Ballantyne CS, Phillips SM, MacDonald JR et al. The acute effects of androstenedione
supplementation in healthy young males. Can J Appl Physiol 2000 Feb;25(1):68-78.
7. FDA White Paper Health Effects of Androstenedione March 11, 2004
http://www.fda.gov/oc/whitepapers/andro.html
8. Hartmann RW, Bayer H, Grun G, et al. Pyridyl-substituted tetrahydrocyclopropa[a]naphthalenes:
highly active and selective inhibitors of P450 arom. J Med Chem . 1995
Jun 9;38(12):2103-11.
9. Dehal SS, Brodie AM, Kupfer D. The aromatase inactivator 4-hydroxyandrostenedione
(4-OH-A) inhibits tamoxifen metabolism by rat hepatic cytochrome P-450 3A: potential
for drug-drug interaction of tamoxifen and 4-OH-A in combined anti-breast cancer
therapy. Drug Metab Dispos . 1999 Mar;27(3):389-94.
10. Hartmann RW, Bayer H, Grun G. Aromatase inhibitors. Syntheses and structure-activity
studies of novel pyridyl-substituted indanones, indans, and tetralins. J Med Chem
. 1994 Apr 29;37(9):1275-81.
11. Parr MK, Geyer H, Reinhart U, Schanzer W. Analytical strategies for the detection
of non-labelled anabolic androgenic steroids in nutritional supplements. Food Addit
Contam . 2004 Jul;21(7):632-40.
12. Wood RI. Reinforcing aspects of androgens. Physiol Behav . 2004 Nov
15;83(2):279-89.
13. Pope HG, Kanayama G, Ionescu-Pioggia M, Hudson JI. Anabolic steroid users' attitudes
towards physicians. Addiction . 2004 Sep;99(9):1189-94.
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