Par Dr. Carol Vachon, Docteur en physiologie médicale, consultant en nutrition. Auteur du livre, Pour l’Amour du bon lait. Article présenté en collaboration avec l'Association Manger Santé Bio.
On attribue de nombreux avantages santé au soja : réduction du cholestérol et des maladies cardio‑vasculaires, meilleure ménopause, os plus résistants, etc. Il est un substitut au lait de vache pour une question d'allergies. Le soja est un des aliments de choix des végétariens. Mais chaque chose ayant son contraire, il y a des aspects négatifs au soja.
Mais parfois on exagère. C'est le cas d'un article intitulé Tragedy and Hype, paru dans le numéro d'avril-mai 2000 de la revue choc australienne Nexus, sous la plume conjointe de Sally Fallon, présidente de la Weston A. Price Foundation et de sa vice-présidente, Mary G. Enig, Ph.D., également présidente de la Maryland Nutritionist Association. Cette thèse est toujours d’actualité car elle a été reprise par certains.
Impropre à la consommation, selon les Asiatiques ?
Selon Mmes Fallon et Enig, la propagande ayant créé le miracle commercial du soja est un véritable exploit parce qu'il y a quelques décennies seulement, la fève soja était considérée impropre à la consommation par les Occidentaux et même les Asiatiques. C'est évidemment faux dans le cas des Asiatiques qui en consomment depuis des lustres. Cela donne une idée du ton de cet article qui, autrement, impressionne à prime abord par sa longueur, huit pages, et une longue liste de plus de 70 références scientifiques. Toutefois, celles que j'ai vérifiées ont en général été mal rapportées.
Passe l’observation à l’effet que nos voisins du sud n'aient pas consommé de soja jusqu'à tout récemment, mais sûrement pas que les Chinois et les Japonais le trouvent impropre à la consommation. Il est consommé en Chine depuis des millénaires. Selon Claude Aubert, aucune autre plante n'est consommée sous des formes aussi multiples et différentes les unes des autres (1).
D'après une source scientifique citée dans l’article, les Japonais ne consommeraient que 7 à 8 grammes de protéines de soja par jour, soit moins de deux cuillerées, donc une quantité apparemment négligeable. Déjà il semble que c’est plus, mais, surtout, c’est oublier que cette quantité de protéines représente quand même une consommation plus grande de soja puisque, à 35% de protéines, cela fait 25 g de soja par jour, sur une base sèche. Une fois cuites, cela fait trois fois plus, au moins 75grammes. Qui consomme trois onces de bœuf, 85 g, à tous les jours chez nous ?
Trop riche en toxines ?
Nexus insiste fortement sur la présence d'une grande quantité de toxines naturelles, en particulier les inhibiteurs de la trypsine, l’enzyme la plus importante de la digestion des protéines. Cela peut occasionner distension gastrique, réduction de la digestion des protéines et carences en acides aminés qui constituent les protéines. Cela est vrai du soja cru, mais la cuisson détruit les inhibiteurs. Selon Nexus, ce serait pourquoi les Chinois consommeraient le soja après fermentation (miso), pour désactiver partiellement les inhibiteurs enzymatiques ou après précipitation (tofu) qui les élimine dans le liquide.
Les Asiatiques consomment peu de soja entier. La présence d'une forte teneur en phytates est aussi soulignée, avec leur propriété d’éliminer les minéraux, calcium, magnésium, fer, zinc, que devraient craindre les végétariens. Sauf qu'il semble que l'organisme s'habitue aux phytates même s'il est avisé de ne pas trop en consommer.
Dans l'article, on juge que la supposée protection des Asiatiques contre l'ostéoporose venant du soja est une farce "extraordinaire" compte tenu que ses phytates empêchent l'absorption du calcium et autres minéraux. On attribue le faible taux d'ostéoporose des Asiatiques au fait qu'ils consomment leur calcium dans les arêtes de poisson. La réalité est toute autre : ils consomment deux à trois fois moins de calcium que nous... Comme le milieu scientifique, Nexus oublie que le calcium y est pour peu dans l'ostéoporose. Or l'aliment le plus consommé en Occident, le blé, contient des quantités importantes de phytates...
Soja et cancer
On remet en question l'hypothèse à l'effet que le soja réduirait les risques de cancers, en critiquant un article révisant les recherches sur le sujet. L'article est décrié tout simplement parce que l'auteur n'a pas mentionné une étude montrant qu'une forte quantité de soja a une action cancérigène sur le pancréas chez le rat. Pourtant, l'article critiqué révélait que le soja est associé à la baisse du cancer dans 65% des études effectuées sur le sujet alors que dans 35%, il s'est avéré sans effet. Aucune recherche ne montre une association du soja au cancer.
Et la thyroïde ?
On connaît la présence de goitrogènes dans le soja, c'est-à-dire des substances désorganisant la glande thyroïde. Or ils font partie des isoflavones, auxquelles sont associés les multiples effets bénéfiques du soja. L'article de Nexus en profite pour tomber à bras raccourcis sur les isoflavones et leur impute la perturbation de la thyroïde chez des femmes par le soja. Mais, dans la recherche citée, il était plutôt question de changements dans les hormones sexuelles par le soja dans un processus de protection contre le cancer du sein, sans aucune mention de la thyroïde (2).
Soja et déclin cognitif
Nexus cite une étude montrant que le soja a favorisé le vieillissement puis une autre indiquant que le déclin cognitif après la ménopause pouvait être lié aux œstrogènes. Nexus attribue de façon abusive un possible déclin cognitif aux isoflavones parce qu'elles ont une action oestrogénique. Or on sait que l'action oestrogénique des isoflavones du soja est faible, de l’ordre du millième. C'est plutôt par leur action anti-œstrogénique que les isoflavones seraient protectrices par exemple contre le cancer du sein en compétitionant avec les oestrogènes.
Une contraception pour bébé
À cause des isoflavones, l'article cite que 100 grammes de protéines de soja apportent l'équivalent oestrogénique de la pilule. Sauf que cette quantité de protéines correspond à plus de 300 grammes de soja (rapport d'environ un sur trois), soit près de 10 onces de fèves soja. Qui en consomme autant ? On se sert de ces données pour évaluer qu'un nourrisson nourri exclusivement de formules à base de soja reçoit l'équivalent oestrogénique d'au moins cinq pilules contraceptives par jour (l'effet oestrogénique).
Bien sûr, ces formules pour nourrissons peuvent avoir été à la source de troubles hormonaux (thyroïde) de bébés (je n’ai pas poussé ma recherche jusque là). Tout existe dans la nature, mais l'exagération est encore énorme ici. Nexus peste contre les protéines extraites de soja. Il y a probablement de quoi puisque la grande industrie les isole par traitement chimique. On est loin du tofu frais.
En conclusion, il y a toujours des côtés négatifs à tout choix alimentaire. Je dois quand même reconnaître que, amateur de légumineuses, je n'ai jamais été fort consommateur de soja entier que je trouve trop bourratif. Mais ses dérivés comme tofu, miso, lait de soja, etc. m'enchantent.
On favorise un autre lait
J'invite quand même à consulter leur site, www.nexusmagazine.com et celui de la Weston A. Price Foundation à www.westonaprice.org. Ils sont favorables au lait cru (d'où mon intérêt) et à l'agriculture biologique. Cet article contre le soja fait partie leur campagne visant à contrer une certaine "démonisation" de la viande. Mais pourquoi toujours taper sur l'autre?
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Références
1- Aubert, Claude. Fabuleuses légumineuses. Terre vivante. Paris, 1989. 160 p.
2- American Journal of Clinical Nutrition, 1997. 60 : 333-340.